• Un roman qui en dit long sur le moteur de la souffrance et la vieille France

    Ce témoignage est très agréable à lire et permet d'entrevoir la réalité dans une vision très réaliste et profonde de notre présent mais aussi de notre futur magnifique en cours de réalisation. Il se nomme Gérard Vésonne et c'est un grand réconfort pour comprendre la pression que l'on vit de nos jours. Pour ceux qui se sentent sous pression,  un pied dedans, un pieds en dehors du système, à lire absolument!

    LA GRANDE REVELATION

    L'arrêt du moteur de souffrance planétaire

    CHAPITRE 1

    NAISSANCE ET ENFANCE DIFFICILES, LES BASES D’UN DESTIN

    Je suis né en 1949 à Brive-la-Gaillarde en Corrèze, département qui à l’époque appartenait à la France profonde parce que les us et coutumes y avaient un siècle d’écart avec la capitale. Le marché de cette ville pittoresque et ses légendaires commères ont été chantées par Brassens.Comme vous allez le découvrir toute mon enfance a été comme un parcours du combattant. D’après ce qui m’en a été rapporté, ma toute première épreuve a été une naissance avant terme qui avait demandé beaucoup de soins dans une couveuse. J’étais d’un poids très inférieur à la normale, et mes parents éprouvèrent de vives inquiétudes quant à ma viabilité.

     Le système médical n’était pas très développé à cette époque en Limousin y compris dans les cliniques et les hôpitaux. Il y avait de nombreux incidents. Mais j’ai réussi à survivre en surmontant de très graves infections et j’ai tant bien que mal atteint le 8ème mois. A la suite d’une asphyxie stoppée de justesse, le médecin de famille sentant ma fin proche proposa à mon père un remède de cheval, c’est le cas de le dire, puisqu’il s’agissait du lait de jument. Ce lait avait selon lui un pouvoir désinfectant très puissant. Autant il était utilisé efficacement chez les adultes, sur un bébé le remède risquait d’être fatal. D’après lui il n’y avait pas autre chose à tenter. C’était une dernière chance pour guérir mon début de septicémie. J’ai donc bu pendant plusieurs jours du pur lait de jument à la place du lait de ma mère. Et après quelques journées d’incertitude, un vrai miracle s’est produit et les infections ont cessé de se manifester. J’ai aussitôt repris du poids et suis sorti du coma où je végétais. A partir de là, tout a été mieux et la famille m’a considéré comme sauvé. Ces événements ont tellement marqué ma destiné que je conçois encore aujourd’hui ma vie comme un processus de survie.

    Mon premier souvenir personnel est cependant heureux. Il se situe entre 2 et 3 ans, par un après midi très ensoleillé où il y avait une réunion de famille autour de mon baptême. J’étais entre les mains d’une sorte d’infirmière-nounou magnifique qui était la personne qui s’occupait de moi parce que ma maman avait des problèmes de santé. J’en conserve encore le souvenir d’un parfum délicat à base d’amandes douces. Dans ma mémoire cette femme est mon véritable premier et puissant amour. Cette nostalgie ne manquera pas de marquer ensuite toute ma vie affective. C’est en rencontrant, quarante ans après, une très dévouée ‘‘ guérisseuse ‘‘ que je ferai par transfert une sérieuse mise au point réparatrice sur cette toute première et bien cruelle rupture affective puisque ma nounou enchantée n’avait fait que passer telle une comète dans mes cieux.
    Un autre souvenir marquant est survenu à l’âge de 3 ans quand ma mère enceinte arrivait à terme de ma sœur Anne. Je faisais la sieste en compagnie de maman l’après midi dans une chambre. Nous étions seuls dans la maison quand subitement le travail a commencé. Je suis resté seul avec elle pendant quelques heures tout le temps de l’accouchement. Je me suis donc trouvé complètement désemparé, ne sachant absolument pas ce qui se passait, ni pourquoi ma maman hurlait ainsi. J’ai assisté à toute la scène jusqu’à ce que du secours arrive. Selon ma compréhension de cet âge cette sœur arrivait dans un bien piteux état. Je pense que cet incident n’est pas un cas exceptionnel mais cela m’a très vite propulsé dans la réalité matérielle de la vie et dans une attitude volontaire de voir les événements bien en face. Je n’ai pas eu le temps de croire en la théorie de la cigogne. Rien de grave ne s’est passé, tout s’est bien terminé, ma sœur Anne est née. Elle était un très joli bébé et nous sommes devenus de très bons camarades de jeux.
     
    Souvenirs d’avant ma naissance
    De cette époque là j’ai aussi quelques autres souvenirs fondateurs qui me semblent remarquables parce qu’ils me propulsèrent hors de cet état de naïveté candide qui est attendu chez un enfant. Le soir avant de m’endormir je pensais et aussi je pleurais. J’avais conscience que les êtres comme moi nous n’étions là que de passage et j’en ressentais une certaine émotion vive. Je ressentais que j’allais beaucoup aimer et aussi m’attacher à cette famille, mais qu’un jour il me faudrait les quitter. Je craignais donc cette épreuve que je semblais très bien connaître et que je considérais comme inévitable. J’en ai parlé par la suite à des psychanalystes, à des psychologues et même à des psychiatres. Selon eux il n’est pas rare d’observer chez quelques très jeunes enfants une conscience précoce du processus de mort. Françoise Dolto en a été le témoin tout en choquant terriblement ses paires de l’époque. Les très jeunes enfants jouent aux naïfs mais ne le sont pas autant qu’on le pense.

    J’ai appris à calculer tout seul
    Voici encore un autre souvenir important et qui reste comme un mystère non élucidé. Ayant commencé ma scolarité dans ma 5ème année, il s’est passé un petit évènement que je pense être très important pour comprendre mieux qui je suis : mon maître a averti mes parents que je m’amusais à faire des devoirs qui n’étaient pas de mon âge et ce lors de contacts avec des élèves plus âgés. C'est-à-dire par exemple des multiplications et des divisions à 3 ou 4 chiffres, alors que j’étais en toute première année, censé faire des additions et soustractions simples et basiques à un seul chiffre. Les élèves des classes supérieures s’amusaient ainsi à me faire faire des devoirs comme s’ils s’amusaient avec un caniche. Mon maître était très surpris que j’arrive à les faire correctement et aussi rapidement sans faute aucune. Il pensait donc que, soit mes parents, soit des élèves des classes supérieures, me formaient dangereusement et il s’en inquiétait. Mes parents ont répondu qu’ils ne comprenaient rien à cela et le mystère en est resté là. Ce dont je me souviens très bien, quant à moi, c’était ma connaissance innée du calcul, sans qu’on ne me l’ait jamais apprise. Je me souviens aussi que j’étais donc très ennuyé d’être ainsi l’objet d’une polémique dont j’étais le seul à en connaître la cause. Je me suis donc vite adapté à cette situation étrange et suis devenu ensuite quelqu’un de très mauvais en calcul, c'est-à-dire ordinaire. J’ai commencé là à découvrir le refuge confortable d’une médiocrité sécurisante et plus conforme à mon statut d’enfant. Dans le même domaine de l’ignorance des adultes envers moi j’ai été très surpris qu’entre 5 et 6 ans mes parents se scandalisent de mes toutes premières érections, de mes petites pulsions sexuelles et de mes tous premiers désirs. Pour moi, c’était inné comme le calcul et j’étais né avec. Je me souviens même avoir eu des attitudes précises avec les petites copines qui montraient que j’avais déjà une bonne connaissance de la pratique des relations sexuelles. Comme pour le calcul j’ai vite compris que mon intérêt était de m’aligner sur le statut correspondant à mon âge, c'est-à-dire l’ignorance. Je me suis donc passionné ensuite pour les jeux de billes qui ne posaient plus aucun problème. Mais j’avais bien compris que ‘‘ qui j’étais vraiment ‘‘ n’était pas compatible avec le monde où j’étais né. Le plus important était de le savoir et de l’accepter. A travers ces évènements de mon enfance, je commençais à me rendre compte que je rentrais dans un monde où j’avais besoin d’ajuster mes aspirations parce que ce dernier n’était pas fait sur mesure pour moi. Cette exigence d’adaptation permanente c’est très vite imposée, jusqu’à devenir une deuxième nature secondaire, avec le risque aussi de perdre la vraie, celle d’origine. J’ai ainsi consacré beaucoup d’énergie durant toute ma vie à ne pas trop me dénaturer tout en étant immergé au cœur d’activités multiples qui me demandaient toutes que je devienne un autre. Cette volonté de rester fidèle à mon origine naturelle, participe ici encore aujourd’hui aux choix des idées de ce livre. J’ai du plaisir à énumérer tous ces premiers souvenirs d’enfance parce que la vie d’un petit d’homme n’est pas toujours celle que l’on voit dans les apparences. La logique de l’observation des parents, des pédiatres et des professeurs ne correspond pas toujours exactement à ce qui se passe dans la tête d’un enfant. En tous les cas c’était mon cas et j’ai commencé à avoir très tôt des interrogations en comprenant que mes parents et mes professeurs ne savaient pas tout de moi et que j’avais en quelque sorte ma propre réalité personnelle. J’ai ainsi découvert très tôt la face cachée de notre vie en société. Comme vous allez le découvrir c’est le fondement des idées de ce livre.

    Mon atelier à ciel ouvert
    J’avais une habitude jusqu’à un âge très avancé d’observer le ciel, de jour comme de nuit. J’observais tout ce qui se passait en haut et plus particulièrement la nuit les étoiles quand le ciel était dégagé. Je me sentais comme attiré par ces petites lumières vivantes.
    De la même façon passionnée j’observais longuement aussi les animaux, les plantes, les insectes et même les cailloux qui me semblaient d’une variété de formes infinie. Je cherchais à deviner leur histoire. Je pense que ce n’est pas rare chez un enfant mais je pense que c’était très développé chez moi puisque les voisins et les autres parents le faisaient observer souvent aux miens en disant : « vous avez vu, votre enfant est très contemplatif, est-ce bien normal d’être ainsi toujours dans la lune ? ». Certes je n’étais pas aussi passionné par les activités humaines ordinaires et ça se voyait. Je me souviens que cette différence me réjouissait et commençait à me définir. Aujourd’hui encore, j’en ai un souvenir très agréable qui va jusqu’à la fierté. Pour tout dire je crois que cette passion n’a pas diminué, même si je n’y accorde plus le même temps. Je crois que je ne me posais pas trop de questions à l’époque mais j’avais simplement un vif plaisir instinctif à observer la nature. J’étais comme en communion avec elle. Je crois que c’est ce même regard attentif qui m’a amené à observer plus tard l’étrange activité humaine en commençant par l’école. Le grand jardin derrière la maison était mon territoire. Il m’en fallait bien un. Je pouvais, comme beaucoup d’enfants, y jouer longtemps et y pratiquer mes observations. Quand je n’étais pas occupé à des obligations familiales, je pouvais rejoindre les chats et aussi les chiens de chasse de papa. Dans ce jardin il y avait beaucoup d’insectes, de fruits et de légumes. Mes cinq sens y étaient toujours en alerte. Il y avait en plus de grandes volières avec une basse cour complète digne d’une grande ferme. La sonnerie de mon réveil matin était ainsi composée de chants multiples et variés. Ce fut longtemps mon petit paradis, mon jardin d’Eden personnel. C’est surement là que j’ai commencé à chercher à comprendre comment pouvait être celui de la bible et à cette époque aussi que je me suis posé les premières questions sur les grands jardiniers de la création. Je m’allongeais, quand le temps le permettait sur la petite pelouse d’herbe rustique. Couché, la tête dans les nuages, j’observais tout ce qui passait, que ce soit des oiseaux de plumes ou aussi parfois ceux de métal car il y avait un petit aéroclub non loin. Je regardais les trainés des grands avions de lignes qui sillonnaient très haut. Quelle intense activité d’imaginer leur destination. Je contemplais aussi les astres et en premier la gentille lune de mon ami Pierrot. J’avais conscience de ce qu’était la grandeur du ciel et aussi de ce qu’était la planète ici où j’avais un jour atterri. J’avais conscience qu’elle tournait comme un manège, que les astres tournaient aussi, et plus que des interrogations c’était une profonde admiration et une contemplation de ce qu’était la nature entière. Je dirais que cette passion était une source de stabilité et de plaisir qui m’apportait simplement la joie. A l’opposé par contre le contexte familial et social me paraissait déjà très énigmatique et j’avais déjà dans ces premières années une sorte de conscience religieuse, culturelle et même politique, ce qui peut paraître très étrange puisque je n’avais reçu encore aucun enseignement formel. Je feuilletais les pages du journal L’Illustration comme une bande dessinée. Je me trouvais ainsi plongé quotidiennement au cœur de cette passionnante première guerre. Je suivais de même les infos radio en direct sur les guerres d’Indochine et d’Algérie. Je commençais à choisir mon camp. Pour justifier aussi un peu cet éveil très prématuré, je dirais que le contexte familial dans lequel j’étais né, surtout du côté maternel, était un contexte très religieux qu’on dirait maintenant intégriste et politiquement très à droite avec la nécessité d’une éducation très stricte et formatée. Je ne l’ai pas refusé mais il me fallait absolument comprendre pourquoi tant de rigueur ? Les conséquences de cette éducation extrême étaient que par exemple nous avions interdiction d’adresser la parole ou de lier amitié avec les quelques familles communistes qui vivaient dans le quartier. Il y avait de même un couple d’hommes homosexuels et il était strictement interdit que nous ayons le moindre geste de sympathie envers eux. Bien évidemment ma sœur et moi trouvions passionnant de faire le contraire, par principe. Il y avait aussi, travaillant à la poste, quelques fonctionnaires créoles qui venaient des îles, Martinique, Guadeloupe ou aussi de La Réunion. Ils vivaient dans le quartier et nous avions de même une totale interdiction de leur adresser la parole. Je ne comprenais absolument pas le risque encouru. Je trouvais cela bien mystérieux, et sans que je ne puisse m’y opposer, je ne me trouvais pas très rassuré par ces interdits non justifiés. C’était bien entendu la France profonde de l’après-guerre dans les années 50. Il y a eu surtout dans ces années là, dans cette Corrèze somnolente, un fait divers explosif et pour lequel ma maman a eu un rôle central. C’est le bien triste procès du curé Besse. Il a été mon premier vrai et grand sujet de réflexion, ne serait-ce qu’à cause de la polémique passionnée qu’il engendra durant de nombreuses années dans tout le bas Limousin. La vie même de ma mère en fut radicalement bouleversée jusqu’à sa mort et donc la mienne aussi. Cet événement local a eu de grandes conséquences nationales et internationales puisqu’il fut à l’origine de la nomination de Monseigneur Lefèvre à Tulle. Cet évêque excommunié, à la personnalité hors norme, a été ensuite le fondateur du mouvement catholique intégriste international tout en s’opposant au Vatican. Voici ici quelques explications de cet événement très intéressant à plus d’un titre.

    Le procès Besse sous l’ombre intégriste de Monseigneur Lefèvre
    Jusqu’à son mariage tardif à 40 ans, ma maman avait passé toute sa belle jeunesse dans le grand manoir de mes grands-parents dont elle était devenue le régisseur à temps plein, après avoir suivi quelques études chez les Bonnes Sœurs de Brive. Ce très beau château prés de Collonges la rouge est au carrefour du Limousin, du Quercy et du Périgord. Il est situé non loin de la rivière Dordogne et à quelques kms de Rocamadour. C’est une grande bâtisse du 15e siècle flanquée de quatre belles tours. A l’époque la propriété possédait une très grosse ferme attenante avec un grand cheptel et quelques cent hectares de terres et forêt. Mais la révolution agricole des années 30 rendait très difficile la rentabilité de l’exploitation en son état. Donc ma maman a eu une vie intensive d’agricultrice dans cette époque troublée d’avant et d’après la guerre. Sa vie quotidienne était très dure et les distractions étaient très rares. Ses seuls loisirs et sa vie culturelle se limitait à servir la paroisse en soutenant son robuste curé, un homme fort et dynamique qui contrôlait d’une main de fer les pratiques religieuses imposées de cette commune. J’avais eu l’occasion de rencontrer une seule fois ce prêtre appelé Besse. Il avait ce jour là arrêté autoritairement l’automobile de mon papa. Il s’était plaint que ma mère ne vînt plus à confession. Il lui fut répondu simplement qu’elle se confessait très régulièrement dans la ville où elle vivait depuis son mariage. Mais, parce qu’il était selon lui son confesseur attitré, cet homme d’Eglise voulait continuer à avoir une telle relation avec elle. J’étais un peu surpris de voir mes parents aussi intimidés face à cet homme en noir qui penchait sa tête menaçante à la portière de la voiture. Les choses ne s’en sont pas arrêtées là puisqu’elles ont très mal tournées dans les mois suivant. Un énorme scandale a éclaté, non seulement dans la commune mais dans tout le département, je dirais même jusqu’à plusieurs départements à l’entour et même jusqu’à la France entière et jusqu’à Rome. Ce curé a été arrêté par la gendarmerie à la fin de sa messe dominicale et il a été mis 5 années en prison après un procès retentissant où il fut condamné pour pédophilie et abus sexuels sur adultes. Si j’ai été directement concerné par ce scandale et ce procès dans ma petite vie d’enfant, c’est que le témoin à charge principal de l’accusation était ma propre maman. Cette affaire devint le principal sujet des conversations entre les gens de la ville comme de la campagne. Son déroulement fut longtemps couvert par la presse régionale. Pour certains ma propre maman était celle par qui le scandale était arrivé, à se demander même de qui étaient ses enfants ? Pour d’autres elle n’avait fait que son devoir. Elle avait été assurément la personne qui avait été la plus proche de l’inculpé. Ce qui se serait passé, et à la fin ce que je crois, c’est que cet homme d’église avait établi une sorte de droit de cuissage institutionnel sur les femmes de la commune et les prenaient en confession régulièrement quitte à se déplacer lui-même dans les fermes et à s’isoler dans les chambres avec elles. J’ai cru comprendre qu’un certain nombre de femmes s’étaient ainsi soumises à cette pratique expiatoire. Pour reprendre les propres mots de ma mère qui se sentait solidaire de ses voisines, l’intention de ces dévotes était d’adoucir la rudesse du célibat de leur excellent curé. Selon ma mère sa foi était à toute épreuve, mais son caractère puissant lui interdisait le célibat. Il semblerait que les hommes de la commune ont voulu réagir à cette situation mais ils ont tous plié sous l’autorité et les menaces de cette autorité divine qui était en plus physiquement très puissante. Il a ainsi corrigé plusieurs fois et devant témoins, y compris dans l’enceinte de l’église, des maris qui se rebellaient contre ces pratiques humiliantes pour eux. Cette arrestation et le procès qui suivit ont été l’occasion pour beaucoup de témoins de sortir de leur passivité et de vouloir témoigner aussi. Mais il y a eu bien évidemment de fortes pressions de la part des autorités cléricales pour empêcher que les témoignages puissent aller jusqu’à la déposition.
    La réaction de ma mère a été alors inverse, elle voulut dire la vérité, toute la vérité. Un détail très important pour moi est resté gravé dans ma mémoire. J’ai vu arriver un jour, chez nous, dans une grande voiture noire avec chauffeur, l’Archiprêtre de la ville de Brive. Il tenait absolument à voir ma maman en privé. Compte tenu de l’importance du personnage dont le nom sonnait déjà à mes jeunes oreilles, je devais avoir 5 ou 6 ans, je me suis caché sous la table du salon, curieux de savoir ce qui allait être dit. J’ai senti instinctivement que j’assistais à un évènement important pour notre famille parce que solennellement l’archiprêtre a dit à ma mère ceci, en résumé : Elle était une bonne croyante très liée à l’église et elle l’avait bien servie jusqu’alors. Il lui en serait tenu compte lors de son jugement dernier, elle n’avait aucune crainte à avoir. Mais il devait l’avertir qu’elle risquait l’excommunication ‘‘ ad vitam aeternam ‘‘ si elle témoignait comme prévu au procès sur les faits dont elle avait été le témoin et la victime. Selon l’Archiprêtre la justice de Dieu ne concernait pas celle des hommes et vis versa. Ma mère que j’ai sentie très choquée par la menace non déguisée garda longuement le silence avant de répondre qu’elle ferait selon sa conscience et qu’elle allait prier et réfléchir à cet avertissement. Moi ce qui m’a surpris c’était le ton très solennel, autoritaire et même menaçant du prélat. Cet homme en uniforme venait chez nous menacer ma maman au nom de Dieu. Même si l’on est très jeune ça laisse à réfléchir. Ce que je fis, jusqu’à ce jour encore. Donc le procès a eu lieu, mais à huis clos, et personne ne sait ce qui a été vraiment dit. J’ai même voulu récemment avoir accès aux minutes du procès en écrivant à la Président du TGI de Tulle et j’ai eu une fin de non recevoir. Ce qui m’a beaucoup surpris. A ce jour je n’ai toujours pas une connaissance exacte de ce qu’a dit ma mère. J’ai su cependant par la presse, par le voisinage et par ma mère elle-même que c’était bien elle qui avait apporté le témoignage le plus important. C’était elle qui l’avait fait tomber. Dans les mois et années qui ont suivi, concernant son témoignage au procès, notre mère a parlé d’une sorte de pratique sexuelle imposée en guise de pénitence. Les châtiments consistaient soit en de simples fessées pour les péchés les moins graves, soit en des relations plus poussées avec l’officiant. Ces pratiques ont été par la suite étendues aux enfants, les innocents fruits de ces paysannes, pécheresses mais repenties. Notre mère portait avec très grande fierté son prénom, Marie Madeleine. Sa soif de repentance était grande, mais ce procès avait déclenché comme un choc dans sa tête et une prise de conscience en a suivi. Selon elle, ces femmes, y compris elle-même, avaient eu tord de laisser faire ainsi et l’église avait eu une réaction incompréhensible en empêchant les témoignages. Elle ne croyait donc plus en l’Eglise et peut être non plus en elle-même aussi. A partir de ce procès et de sa sentence, les conséquences furent nombreuses et considérables pour tous. Une partie importante de la voûte était tombée sur les fidèles et il fallait bien reconstruire. Ma mère en a été tellement affectée qu’elle n’est plus jamais sortie de sa maison jusqu’à sa mort. Il y avait une telle différence entre sa confiance en l’autorité religieuse et ce qu’elle en avait constaté. Sa vie s’est arrêtée là, comme si elle n’avait plus aucun repère. Elle s’est laissée aller pour s’échouer comme une épave sur la grève. Elle a continué cependant à avoir une pratique religieuse minimum, soit en faisant venir un prêtre, soit en regardant la messe à la télévision. A travers ce qu’elle a vécu lors de ce procès, quelque chose s’était cassé dans sa vie justifiant qu’elle refuse de participer ensuite à la vie sociale en ne sortant plus de son domicile. Si je décris largement ce fait divers c’est qu’il a été pour moi comme un premier socle bien solide sur lequel s’est développé de façon précoce mon besoin de réflexion sur ce qu’étaient en général les autorités religieuses dans le monde où je vivais. Il est certain que les conséquences sur ma vie de cette histoire ont été déterminantes. Ces événements m’ont fait me poser prématurément de nombreuses questions essentielles concernant l’ordre social et les institutions le représentant. Ce procès a eu de nombreuses autres conséquences plus larges. De très nombreux prêtres de la région se sont mariés dans les années qui suivirent. Certains étaient des professeurs du collège religieux où je faisais mes études. Une grande proportion a quitté l’église. Tout le département très agricole et catholique a été secoué par ce scandale qui apportait de l’eau au moulin des idées communistes et anticléricales. L’archevêque de Paris, voyant que le département dérivait avec des églises vides et des participations réduites au denier du culte, envoya en mission réformatrice Monseigneur Lefèvre connu pour sa rigueur et sa connaissance du dogme. J’ai un souvenir de lui parce qu’à de nombreuses reprises je suis allé le voir avec ma famille et des voisins.
    Les foules se déplaçaient en masse pour écouter ce grand tribun de Dieu qui allait remettre les pendules à l’heure. Bien qu’il y ait longtemps, je me souviens encore clairement de ses prêches enflammés et en particulier de son avertissement aux croyants du risque de perdre leur âme s’ils relâchaient leurs pratiques. Il exigeait la messe régulière, de même que la confession, le poisson du vendredi et la stricte observance de la morale chrétienne. Il rappelait la liste des pêchés mortels fermant l’accès au paradis. Il appelait à la prière et à la pénitence comme au soutien financier de l’Eglise. Je me souviens que ces rassemblements drainaient tellement de population que les églises étaient pleines. Des haut-parleurs installés sur des voitures relayaient des sermons interminables martelés par l’Evêque sorti sur le parvis, micro en main, et juché sur un promontoire de fortune. Je me souviens de son habit majestueux et scintillant, de sa crosse, de sa mitre et de son regard de braise. Je me souviens en avoir frémis parce que j’étais conscient malgré mon très jeune âge que, dans une partie cachée de ma mémoire, je connaissais bien ce genre de harangue vécu en d’autres temps. Mon entourage subjugué me poussa plusieurs fois à genou pour que je baise son anneau de pouvoir. Cette soumission forcée m’a blessé et je me souviens avoir ressenti comme un refus refoulé que j’associais à la même révolte que celle entreprise tardivement par ma mère. Avec cette différence que pour moi ma vie commençait tout juste. Pour la petite histoire, le grand schisme mondial a alors débuté parce que Mgr Lefèvre a eu un très grand succès en Corrèze. En quelques années il a inversé la tendance des prêtres à se défroquer et à se marier. Il a remis de l’ordre dans toutes les institutions catholiques et il a fait en sorte qu’une bonne partie des fidèles reviennent à une stricte pratique régulière. Fort de son brillant succès l’Evêque excommunié refusa ensuite de suivre le Vatican dans les réformes du concile de Vatican II. Il fondât le mouvement catholique intégriste international dont le siège est en Suisse. Cet ordre est encore aujourd’hui actif dans beaucoup de pays d’occident.

    Le Bienheureux Pierre du Moulin Borie
    Je dois signaler enfin dans ce même registre du fondement de mon image de l’autorité que parallèlement à ces événements il y avait à notre domicile un objet très particulier qui possédait une autorité incontestable sur la famille. Il m’a longtemps beaucoup impressionné. Il s’agissait d’un simple cadre en bois doré de dimension modeste. Il contenait le portrait au fusain d’un saint de l’église qui a été béatifié dans les années 1800. Il s’appelait Pierre du Moulin Borie. Il était un cousin de la famille maternelle au 19e siècle. Ma mère ne l’avait pas connu, mais ses parents lui en avaient beaucoup parlé. Il était comme le grand protecteur spirituel de notre famille et la grande fierté de maman. Pierre du Moulin Borie était père missionnaire. Il était né en Corrèze dans la petite ville de Beynat qu’il aurait, parait-il, protégée de la destruction prévue par la division allemande qui a sévi à Tulle et Oradour sur Glane, avec les massacres que l’on sait. Il avait contribué à évangéliser le Tonkin. Il est devenu un héros car il a été décapité à Phnom Penh lors d’une révolte où les catholiques ont été persécutés. Après son décès, il a bénéficié d’une procédure romaine qui lui a attribué le titre de Bienheureux et il a ensuite été sanctifié, bien plus tard, dans les années 1980. Ce portrait siégeait dans ma chambre et me regardait fixement tous les jours de mon enfance. J’ai entretenu avec son doux regard une relation très chaleureuse. Je ne fus donc pas surpris lorsque maman me déclara un jour, comme un secret, que j’avais été mis sous sa protection. Je vous conterai bien plus loin de quelle façon j’ai décidé un jour de me libérer de ce lien tés particulier afin de pouvoir tourner une page.

     


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