• Rue89: Les banquiers et traders de Wall Street, potentiels « indignés » ?

    Rue89: Les banquiers et traders de Wall Street, potentiels « indignés » ?

    Article original: http://www.rue89.com/2011/10/19/les-banquiers-et-traders-de-wall-street-potentiels-indignes-225692

    Provocation, mépris, conciliation : les travailleurs de Wall Street jettent un regard mitigé sur les « indignés » du mouvement « Occupy Wall Street ».


    Un « indigné » porte une veste avec un écusson « Occupy Wall Street » à Zuccotti Park, près de Wall Street, le 19 octobre 2011 (Lucas Jackson/Reuters)
     

     

    (De New York) Face aux indignés d’« Occupy Wall Street », le monde de la finance a offert plusieurs visages :

    • l’humour  : depuis début octobre, deux individus qui se décrivent comme des banquiers d’affaires sont à l’origine de l’initiative « Occupy Wall Street » pour faire valoir le point de vue du pourcentage le plus riche de la population américaine contre les 99% que les manifestants prétendent incarner ;
    • la conciliation : c’est la posture de Vikram Pandit, PDG de la banque américaine Citigroup. Il a déclaré le 8 octobre dernier lors d »un entretien avec le magazine Fortune :

    « Le sentiment [des manifestants] est tout à fait compréhensible. La relance économique n’est pas celle que nous attendions. Il y a nombre de personnes dans notre pays qui ne peuvent pas réussir ce qu’ils veulent faire et cela n’est pas une bonne situation. »

    • la provocation : début octobre, des employés du Chicago Board of Trade bien inspirés ont collé sur leurs fenêtres des pancartes clamant fièrement « Nous sommes le 1% ». Dehors, des manifestants donnaient de la voix.
    • l’amusement teinté d’un certain mépris : telle est l’attitude d’une poignée de New Yorkais endimanchés qui ont regardé, du haut du balcon de Cipriani Wall Street (salle de réception), une coupe de champagne à la main, défiler la horde de manifestants en contrebas.

    « Des bébés pleurnichards »

    Depuis le début du mouvement « Occupy Wall Street » il y a un peu plus d’un mois à New York, la voix des banquiers, traders et autres artisans de la finance mondiale est restée relativement absente des débats. Pourtant, les « wall streeters » en parlent, assurent certains d’entre eux en privé.

    Les réactions glanées aux abords des institutions financières sont diverses : un employé d’une agence de notation taxe les manifestants de « bébés pleurnichards jaloux de ne pas pouvoir travailler à Wall Street », tandis qu’un chef de projet dans une grande banque d’investissement les voit comme « les porte-voix d’un mécontentement profond ».

    Josh Brown, conseiller financier et auteur du blog à succès The Reformed Broker, confie :

    « Wall Street voit un groupe de manifestants pas tous d’accord entre eux. Les banquiers ne sont pas sûrs s’ils doivent en rire ou les prendre au sérieux. Il y a beaucoup de prudence. »

    Désespoir dans les banques

    Les avis sont d’autant plus partagés que Wall Street est loin d’être le bloc uniforme qu’on aimerait qu’il soit. Dans les rues étroites du quartier d’affaires cohabite une myriade de professions, de sensibilités politiques et de parcours personnels.

    Puis, Wall Street ne fait pas la fière. Selon le dernier rapport annuel du contrôleur des finances de l’Etat de New York sur l’état de l’industrie financière, les profits des grands noms du secteur devraient dégringoler d’un tiers en 2011 par rapport à 2010.

    Conséquence : des bonus en chute libre et 10 000 emplois supprimés sur Wall Street d’ici 2012. Ce qui portera à 32 000 le nombre de suppressions d’emplois sur la place financière depuis 2008.

    Le blogueur et conseiller financier Josh Brown poursuit :

    « Il y a un état de désespoir dans les banques. Les banquiers d’affaires et les traders se disent : “Je suis diplômé d’un établissement de l”Ivy League, je travaille dix-huit heures par jour pour rembourser mes dettes, on me doit beaucoup d’argent et cela ne va pas se produire. » »

    Une culture incompatible avec la révolte

    De quoi créer un terreau favorable pour un improbable dialogue entre Wall Street et ses détracteurs ? Le trader rejoindra-t-il l’indigné dans un même ras-le-bol du système ?

    Pas si vite, prévient Karen Ho. Cette anthropologue à l’université du Minnesota a publié en 2009 une étude ethnographique unique nommée « Liquidated » sur les banquiers d’affaires et les traders de Wall Street. Selon elle, les licenciements ne mettront pas le feu aux poudres car ils font partie intégrante de la culture de Wall Street :

    « L’insécurité de l’emploi fait partie de la culture institutionnelle de Wall Street. Dans les banques, les départements vont et viennent avec les évolutions du marché. Quand il y un ralentissement, un département dans son ensemble peut-être supprimé et recomposé l’année suivante.

    Les banquiers y sont habitués. Ils ont un réseau de contacts très dense, plein de ressources qui leur permet de passer d’une banque à l’autre, et se considèrent comme très intelligents. Ils voient leur licenciement non pas comme une spirale sociale descendante, mais comme un défi, comme une manière de se forger.

    En un sens, le licenciement a sur eux un effet fondamentalement différent que sur le reste des travailleurs en Europe et aux Etats-Unis. »

    « Ils se voient comme les meilleurs travailleurs au monde »

    Selon Karen Ho, le parcours personnel des banquiers d’affaires et des traders, leur origine sociale privilégiée, leur formation dans les grandes universités américaines (en particulier Harvard et Princeton, anti-chambres de Wall Street) et leur évolution dans un environnement où on leur instille, à tous les stades de leur recrutement et formation, l’idée qu’ils sont les meilleurs, contribuent à les convaincre de la supériorité de leur méthode de travail.

    Pis, ils ont l’impression d’être au service du rayonnement de leur pays, première économie mondiale, et de sa population, dont la retraite dépend en grande partie de la santé des marchés financiers, notamment à travers les plans d’épargne placée 401(k).

    Pour Karen Ho, ces différents aspects de la culture de Wall Street rendent difficile tout changement de l’intérieur. Elle ajoute :

    « Ils pensent sans doute que les manifestants d’“Occupy Wall Street” se trompent de cible. Ils se considèrent mal compris, de même que leur rôle au sommet de l’ordre moral capitaliste. Ils se voient comme les meilleurs travailleurs au monde, supérieurs même à leurs clients, et ont la conviction que leurs pratiques et décisions financières aideront l’économie à se remettre. »

    Le « petits » de Wall Street, agents de la révolte ?

    Heureusement, Wall Street n’est pas uniquement composé de traders et de grands banquiers. En soutien du « front office », les banques comptent aussi :

    • un « middle office » composé de professionnels divers, qui vérifient notamment la légalité des transactions pour protéger l’entreprise en cas de problème ;
    • un « back office »  : considéré comme peu glamour, il regroupe toutes les activités de support, comme l’achat de programmes informatiques et technologiques nécessaires au travail du « front office ».

    Ces professions partagent le point commun d’être moins bien rémunérées et souvent dénigrées par les grands banquiers et traders, au sommet de la pyramide de Wall Street. Les employés qui y travaillent sont rarement issus de l’« Ivy League » et ne côtoient pas les mêmes cercles sociaux que leurs collègues du « front office ». Dans certaines institutions, ils ne partageraient même pas les mêmes ascenseurs.

    « Un léopard ne perdra jamais ses taches noires »

    Karanja Gacuca a passé onze ans entre les « back » et « front office » de plusieurs institutions bancaires de Wall Street. Licencié fin septembre, il a rejoint Occupy Wall Street, dont il est un des porte-parole. Pour lui, même si la frustration chez les « petits wall streeters » est grande, le « Printemps de Wall Street » ne viendra pas d’eux :

    « Certes, il y a une relation antagoniste, de la frustration qui s’exprime de façon subtile. […] Pour autant, il y a aussi beaucoup d’idolâtrie et d’envie. Tout le monde dans le “ back office ” souhaite travailler dans le “ front office ” un jour. On ne mord pas la main qui nous nourrit. »

    Vendredi dernier, à Zuccotti Park, aux portes de Wall Street, les manifestants rencontrés entre les sacs de couchage et les amoncellements de toiles cirées se sont dits partagés sur l’opportunité d’un dialogue avec Wall Street.

    « La frontière entre l’emploi et le chômage s’est atténuée avec la crise. Tout le monde est concerné. Tout le monde peut perdre son emploi d’un jour à l’autre, ou d’une semaine à l’autre », lance Hamish Kilgour, un manifestant.

    Angel Dejesus, un New Yorkais qui a rejoint les « indignés » deux semaines après le début de l’occupation du parc, est plus pessimiste :

    « Ces mecs-là, à Wall Street, ne changeront jamais. Un léopard ne perdra jamais ses taches noires. »

    Article original: http://www.rue89.com/2011/10/19/les-banquiers-et-traders-de-wall-street-potentiels-indignes-225692

    « l'Europe est en passe de subir un coup d'état ! Changement global de l'économie en France: des idées! »
    Partager via Gmail Yahoo!

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :