• « Il n’est de vérité que du tout » par Bruno Bertez

    L’Edito :  « Il n’est de vérité que du tout » par Bruno Bertez 

    vu dans: http://lupus1.wordpress.com/

    Dossier sur l'argent

        Nous avons coutume, avant de nous mettre à écrire ou à dicter, de laisser notre esprit vagabonder. Histoire de laisser décanter l’information, de prendre un peu de recul. D’aucun dirait « mettre un peu d’ordre dans le chaos et le foisonnement des nouvelles ». 

    Ce vagabondage de la pensée nous ramène presque toujours à notre point de départ. Malgré tous les détours, nous revenons toujours là d’où nous sommes partis. En l’occurrence, dans le cas présent, nous sommes partis d’une question : oui ou non, y a t’il des possibilités de déconnexion entre les grands marchés financiers mondiaux.



     

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    La rotation actuelle des capitaux qui sortent des émergents pour aller, pour retourner, là d’où ils viennent, et singulièrement les Etats-Unis, cette rotation est-elle un phénomène durable. Depuis novembre 2010, la divergence entre les marchés des pays développés et ceux des émergents se creuse, s’accentue. Elle se confirme. 

    Le graphique 1 montre une forte corrélation entre les marchés émergents (ligne noire) et le Dow Jones World Index des marchés des pays développés (ligne bleue). Le point principal est que ces marchés mondiaux en général montent et descendent ensemble. Le graphique montre aussi que les marchés émergents ont augmenté beaucoup plus rapidement que les marchés développés depuis le point bas de 2009. En fait, les marchés émergents ont  gagné 130% à partir de ce point bas  par rapport à 90% pour les marchés développés. La croissance dans les grands marchés émergents comme la Chine et l’Inde est souvent citée comme le moteur de la croissance économique mondiale et comme faiseur des tendances à la hausse des actions  et des matières premières. Le problème est que les marchés boursiers de ces pays sont désormais  en baisse depuis le mois de Novembre 2010.

      

    La première phase de stimulation monétaire et fiscale opérée aux Etats-Unis a surtout bénéficié au reste du monde (ROW). Par une sorte de fuite, au sens de fuite de plomberie, les liquidités créées aux Etats-Unis se sont échappées du système américain et elles se sont déversées sur les émergents. Il n’y a pas que les capitaux qui se sont échappés, la demande également. Bref, les stimuli ont surtout bénéficié aux fournisseurs des Américains. 

    Du plus bas de mars 2009 jusqu’à maintenant, les marchés des pays développés n’ont progressé que de 90%, alors que ceux des émergents ont progressé de 130%. Depuis novembre 2010, les corrélations semblent brisées : les émergents baissent après avoir fait un redoutable double-top ; les grands pays industrialisés montent sans discontinuer. 

    Sommes-nous à un tournant ? Au contraire, assistons-nous à un phénomène temporaire ? Les émergents préfigurent-ils ce qui va se passer bientôt dans le monde global ? Autrement posée, la question est celle du découplage. Le monde est-il global, hiérarchisé, avec un Centre, les Etats-Unis, et des périphéries. Ou bien est-il en train de devenir multipolaire, désynchronisé. 

    La seconde hypothèse constituerait le souhaitable puisqu’il y a 20 ans que l’on souhaite le découplage. Malheureusement, le souhaitable n’est pas le plus probable. 

    Deux éléments nous paraissent aller dans ce sens et valider notre thèse :

    1) les cours des matières premières montent

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    2) les taux d’intérêt longs ont changé de tendance partout dans le monde et sont maintenant orientés à la hausse.

    La conclusion qui s’impose est que le monde global est victime de tensions et d’anticipations inflationnistes. Cette situation, qui concerne tout le monde, se manifeste là où les conditions sont les plus favorables à l’inflation, c’est à dire prioritairement chez les émergents.

    Dans la mesure où les émergents sont

     1) en avance dans le cycle par rapport aux développés

    asia inflation

    2) fournisseurs des grands pays industrialisés, on peut parier que d’ici quelques temps l’inflation va se propager. Elle va gagner même les économies les plus attardées dans le cycle. Selon notre interprétation, nous serions donc dans une situation de retard, de décalage. L’apparente divergence, désynchronisation, tiendrait, selon cette thèse, simplement au retard de transmission.

    china CPI

    Il va de soi, signalons-le en passant, que la réévaluation des monnaies émergentes par rapport au dollar, bizarrement voulue par les Etats-Unis, ne peut qu’accentuer le phénomène

    Dans une certaine mesure, nous soutenons l’idée d’un progressif basculement des taux d’intérêt directeurs mondiaux. Peu à peu, on s’orienterait vers un marché financier dans lequel les références directrices ne seraient plus américaines, mais ailleurs, dans un composite du reste du monde. 

    Les Etats-Unis ont créé de l’inflation monétaire et budgétaire pour faire face à la crise. Cette inflation provoque des hausses de prix et des hausses de coûts chez leurs fournisseurs, dans leurs ateliers de fabrication, dans le coût de reproduction de leur main d’œuvre. Dans un avenir proche, ces hausses vont se transmettre au système américain. 

    china CPI

    Image: SocGen

    Nous avons toujours raisonné comme si le monde ne faisait qu’un, comme s’il fonctionnait comme un système. Le reste du monde émergent est à la fois l’atelier, le fournisseur de matières premières et d’énergie des Etats-Unis ; en créant de l’inflation dans le ROW émergent, on crée les conditions de l’inflation américaine. Et ces conditions se révèleront au fur et à mesure que la reprise économique se précisera, que le sentiment évoluera. 

    Le facteur déclenchant de la divergence entre les émergents et les grands pays industrialisés, c’est l’inflation monétaire (le QE2 inutile), l’inflation des prix et des coûts, l’inflation du prix des commodities, le retournement de tendance des taux d’intérêt.

    FAS

     Mais le phénomène n’est réellement compréhensible que si l’on tient compte de l’existence d’un « tampon », d’un « buffer », d’une marge d’absorption  dans les grands pays industrialisés. Ce « buffer » fait que, temporairement, on a l’impression d’être dans le meilleur des mondes avec la reprise économique et la modération de l’inflation. C’est le retard dans la transmission de l’inflation qui, joint à la reprise économique, permet la hausse des marchés boursiers. 

    Nous renvoyons à notre dernière chronique. Nous écrivions « un seul nuage, les taux d’intérêt ». La hausse des taux est un signe avant-coureur : l’inflation est à la porte. Est-ce que cela veut dire qu’elle va frapper, et ensuite entrer ? A terme oui, bien sûr, mais ce n’est pas pour demain.

    Il faut tenir compte, non seulement des tendances spontanées, mais aussi de l’action et de la propagande des gouvernements et régulateurs. Ils manipulent les tendances spontanées. C’est la loi du triangle : pour comprendre, il faut connaître les forces qui sont à l’œuvre, mais aussi celles qui s’y opposent ; le réel, ce qui apparaît, c’est la combinaison des deux. En clair, nous estimons qu’en matière d’inflation, il est trop tôt pour qu’il soit déjà trop tard. 

    Jump Cliff Dive

    Image: Dennis Barnes

    Revenons à notre vagabondage de départ. Forcément, il passe par les événements, les soulèvements, les guerres civiles. Nous n’avons pas la prétention de tout faire rentrer dans le même schéma explicatif. Les causes, les conditions, les objectifs des mouvements sont divers. Ils sont divers aussi dans leur mode d’apparaître. Tenter de découvrir une équation universelle nous conduirait à une impasse. Nous pensons en particulier à cette soi-disant revendication commune à la démocratie. 

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    Nous préférons simplement constater, sans plus, que ce qui est en cause, c’est l’ordre établi. Cette affirmation est incontestable, incontournable. 

    L’ordre ancien, c’est celui qui est fondé sur la prééminence américaine, son pouvoir militaire, financier, économique. Son droit de seigneuriage. 

    La crise et les remèdes qui lui ont été appliqués révèlent les fractures de cet ordre en même temps qu’elle le fragilise. 

    Par ailleurs, les Etats-Unis et singulièrement Bernanke, mais aussi Obama, sont obligés d’être égoïstes. Egoïstes, cela veut dire qu’ils sont obligés de mener des politiques qui donnent la priorité à leurs intérêts et font passer au second rang le maintien de l’ordre du monde. L’enjeu n’est plus comme en 2008 de lutter contre la crise, mais il est de savoir qui va payer cette crise, qui va perdre son rang. A l’intérieur et à l’extérieur bien sûr. 

    La crise a non seulement fragilisé l’édifice, mais elle a attisé les tensions, les forces de dislocation. A l’intérieur des blocs, mais aussi entre les blocs. 

    Au départ financière, la crise est devenue économique, puis sociale, elle devient politique et géopolitique. Le mensonge des pouvoirs, c’est évidemment de séparer les uns des autres alors qu’en réalité, tout cela forme un tout. 

    Les tensions, les fractures, les éruptions, au sens volcanique, apparaissent là où se trouvent les zones les plus faibles. Les maillons faibles de la chaîne qui unit le système mondial. Là où l’ordre est le plus scandaleux, inégalitaire, contesté. 

    Le système, l’ordre, repose non sur l’équilibre, l’harmonie, la justice, bref la démocratie, il repose sur les déséquilibres, les dissymétries complémentaires, les inégalités. Il repose sur la démocratie pour les uns et la coercition pour les autres.  

    Le Centre du système, les Etats-Unis, maintient sa position

    1) par l’importation de marchandises et de matières premières en-dessous de leur valeur ; il draine les ressources réelles mondiales par un échange structurellement inégal

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    2) par l’exportation de créances, de dettes et d’assets, c’est à dire de promesses de remboursement et de rentabilité

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    Ce qui est au cœur du dispositif américain, et qui est soigneusement occulté dans les raisonnements, c’est le profit. Attention, pas au sens classique, mais au sens d’opérateur du système. Il faut produire le maximum de profit pour produire le maximum de capital et pouvoir l’exporter contre des marchandises, des commodities et de l’énergie. C’est à dire qu’il faut attirer les richesses réelles, la prospérité réelle, le niveau de vie réel, en échange de promesses futures (que bien sûr on n’honorera pas). On n’insiste pas assez sur le paradoxe qui pourtant crève les yeux d’un pays qui est en crise profonde et qui a un taux de profit et des marges bénéficiaires historiquement record. C’est pourtant la situation américaine. 

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    L’ordre, le système n’a pas été volontairement conçu ou construit comme tel. Il s’est établi progressivement, pratiquement, en fonction du paramètre central qui le gouverne : le profit drainé en faveur des Etats-Unis. 

    C’est un ordre comprador dans lequel les dictateurs, les tyrans, la bourgeoisie et le capital national tirent leurs positions, leurs pouvoirs et leurs privilèges, du commerce avec l’étranger, de l’exploitation de leurs richesses minières ou pétrolières pour l’étranger, de l’exploitation de leur main d’œuvre pour l’étranger ! 

    C’est cet ordre qui se fissure et qui est contesté. L’ironie, c’est que cette contestation que les Etats-Unis sont obligés de faire semblant de soutenir au nom de la démocratie, des droits de l’homme, de la liberté, l’ironie est qu’elle les oblige, pour parler vulgairement, à scier la branche sur laquelle ils sont assis. Ou toujours aussi vulgairement, à couper la main qui leur donne la nourriture. Selon le Pew Research Center, à l’intérieur des pays qui sont sous protectorat américain, 70% de la population est anti-américaine

     

    On ne peut pas faire de finance et d’économie sans faire de politique. Derrière les abstractions, il y a toujours combats, affrontements, luttes pour les ressources, luttes pour la valeur ajoutée, luttes pour l’emploi, luttes pour le niveau de vie. L’endettement, la financiarisation des 25 dernières années ont produit un ordre intenable qui, à force d’être intenable, s’est transformé en désordre.

    4 cycles

    Au cours de notre vagabondage, nous avons eu l’impression de nous promener dans un puzzle ou à travers un labyrinthe. Si nous ne nous sommes pas égarés, c’est peut-être grâce à l’extraordinaire enseignement de Jean Bodin (1529/1596) qui nous a enseigné : « il n’est de vérité que du tout ».

    « A l’offensive contre la dette et l’austérité ! nouvelle forme d'esclavagisme...vidéo et reflexions urgentes »
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