• « Il faut soutenir le policier Pichon, courageux lanceur d’alerte »

    ARTICLE DU SITE http://libertes.blog.lemonde.fr

    Le commandant Pichon, victime du STIC

    « Il faut soutenir le policier Pichon, courageux lanceur d’alerte »

    Philippe Pichon, policier atypique, est menacé de révocation. Le Syndicat de la magistrature a dénoncé « l’acharnement du ministère de l’intérieur contre le policier », en vif conflit avec sa hiérarchie et mis en examen pour avoir divulgué les fiches de police de deux personnalités. « Quand un policier parle aujourd'hui de manière critique de son institution, on le bâillonne », a observé Mathieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat.

    Le commandant Pichon a été renvoyé devant un tribunal correctionnel, dont l’audience est prévue en 2012, après avoir été été mis en examen pour « détournement de données confidentielles » contenues dans le Système de traitement des infractions constatées (Stic) et « violation du secret professionnel ». Il lui était reproché d'avoir rendues publiques et consulté les fiches de Jamel Debbouze et Johnny Hallyday.

    Le policier a reconnu les faits, arguant d’un « geste citoyen » afin de dénoncer un fichier controversé. En mars 2009, il a été mis à la retraite d’office mais a déposé un référé devant le tribunal administratif pour contester cette décision. Le tribunal administratif de Melun a ordonné la suspension de la décision et réintégré Philippe Pichon, en le suspendant de ses fonctions. Il a demandé sa réintégration, le commissaire du gouvernement s’y est opposé, la décision sera rendue demain, vendredi 25 novembre. Le syndicat de la magistrature se dit « choqué » que cette décision soit rendue avant celle qui sera rendue au pénal.

    Par Frédéric Ocqueteau, sociologue, directeur de recherche au CNRS (CESDIP) et Virginie Gautron, juriste, maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles (Université de Nantes).

    « Le Système de Traitement des Infractions Constatées, le fameux fichier STIC agonise tandis qu’un nouveau fichier, celui du Traitement Judiciaire des Infractions devrait progressivement le remplacer. La mise en cause du liberticide fichier Stic aura été paradoxalement accélérée par une conscience vigilante appartenant à notre police, celle du commandant Philippe Pichon.

    Dès 2008, en effet, cet officier s’est rendu célèbre pour avoir révélé à la presse les dangers de ce fichier, en divulguant sciemment deux fiches non expurgées retraçant les accrocs de l’itinéraire de deux personnalités du show business. L’alerte en direction des medias qui valut à son auteur mise en examen et de nombreux déboires disciplinaires depuis lors était pourtant remarquablement fondée, puisque son geste citoyen fut largement corroboré par l’accablant rapport de la CNIL du 20 janvier 2009. Rappelons qu’aux termes d’une enquête difficile, la Commission avait pointé les dangers et les dérives du fichier STIC, parmi les victimes et mis en cause nominatifs. Et cela, tant dans son évaluation des conditions d’alimentation ubuesque de l’information entrante, que de ses déplorables mises à jour et consultations policières sauvages : le fichier STIC n’était pratiquement jamais purgé des éléments de toutes sortes qui n’avaient point à y figurer. 2500 vérifications effectuées par la CNIL durant l’année 2010 ont montré que, depuis lors, la situation ne s’est hélas guère améliorée puisque 21% seulement des fiches STIC seraient exactes (Rapport CNIL, 2011, p. 15).

    Quand on se penche de près sur les raisons de cette situation alarmante, aucun des arguments mobilisés par les différents échelons de la hiérarchie policière pour défendre l’honorabilité de cet indigne fichier n’emporte la conviction du citoyen. En effet, s’il n’était qu’un outil reflétant le travail mené par les services répressifs français, comme l’a soutenu le DGPN Frédéric Péchenard, on devrait à bon droit se poser des questions sur la qualité générale de leur travail.

    Prothèse au flair policier

    S’il n’était qu’un simple outil parmi d’autres pour enrichir le bon discernement du corps d’encadrement tenu d’augmenter le taux des élucidations avec les différentes sources de renseignement dont il dispose (comme l’affirma un commissaire syndicaliste), rien ne garantirait pour autant que cette qualité de discernement soit de mise parmi les échelons subordonnés préparant en réalité leurs décisions. S’il était un outil de prévention de la récidive légale, nul ne verrait vraiment pourquoi le casier judiciaire de Nantes (CJN) n’y suffirait point, le CJN étant un instrument beaucoup plus fiable et infiniment mieux contrôlé par les juges. Si enfin, il n’était qu’une prothèse au « flair du policier » dans la recherche de la vérité à l’égard d’un suspect, alors il faudrait admettre que sa véritable finalité serait de servir les traditionnelles techniques de pression à l’obtention des aveux, à une époque où l’on ne cesse pourtant de marteler que les progrès spectaculaires de la police scientifique et technique les auraient rendues totalement caduques.

    En réalité, ce sont là de bien piètres arguments de justifications corporatistes. Or, à propos de cet outil, ce qui bien plus avéré, ce sont les tentations permanentes de détournements de ces douteuses finalités à d’autres fins. Et elles ne sont hélas pas à l’honneur de ceux qui les pratiquent. Sans évoquer le potentiel de corruption par vente sauvage de fiches par vénalité ou monnaie d’échange (tricoche), ni même les pratiques classiques de fichage des « opposants » de toutes sortes au pouvoir en place qui n’ont jamais disparu –qu’il soit de droite ou de gauche ne change au demeurant rien à l’affaire-, il faut surtout comprendre autre chose. Ce fichier reste un large incitateur à l’inertie de la machine policière. Il justifie surtout la défense de pratiques coutumières dont elle n’entend pas si facilement se délester. Il reste en effet très utile aux OPJ qui n’ont rien à se mettre sous la dent a priori, à propos de n’importe quel incident signalé. Un simple clic, un nom…, et hop, voici le STIC consulté 20 millions de fois par an.

    Cette paresse, liée à l’automatisme de la consultation préalable avant toute interrogation liminaire sur ce que l’ «on» vous signale, se justifierait ainsi par la conviction enracinée que notre police pourrait toujours y glaner ou récolter quelque chose d’intéressant au moindre soupçon, à l’égard de n’importe qui. Voilà en somme une justification pratique officieuse inavouable, mais parfaitement entendue et tout à fait « couverte » par les services des parquets. Ceux-ci, sauf exceptions, n’entendent pas vraiment savoir ni réellement contrôler la qualité de la masse des informations qui leur sont transmises quotidiennement sur les « mis en cause » par les services de police. Car, en dépit de réglementations tatillonnes à ce sujet, ils ne se donnent ni n’ont véritablement les moyens de contrôler réellement le devenir de leurs décisions de classements sans suite qu’ils émettent par le biais des fiches navettes au sujet de celles et ceux qu’ils ont mis hors de cause.

    Mémoire sale

    Le résultat pratique, c’est qu’hélas, des vagues de nouveaux « défavorablement connus des services de police » sont toujours plus nombreux à être ainsi labellisés par la coutume policière, au vu de ce qui s’incruste dans la mémoire jamais effacée du STIC. Voilà le véritable motif de la pérennité du fichier STIC en son état. Il réside dans la conviction intime de ses défenseurs acharnés qu’il y aurait une supériorité du savoir de la police sur des citoyens ayant toujours quelque chose à se reprocher, bien plus que d’un savoir de la police mis au service de citoyens présumés innocents.

    Ce « savoir » impur est constituée d’une mémoire sale qui se transforme en pouvoir de pression assumé en tant que tel sur tous les citoyens (y compris chez ceux, les naïfs, qui estimeraient « ne rien avoir à se reprocher »), parce qu’elle n’est jamais véritablement lavée par les juges, gardiens de nos libertés. Un commissaire courageux anonyme ne confiait-il pas éloquemment à une journaliste : « Un flic ne pourra jamais se résoudre à détruire les données, même erronées, mêmes sales. Qui a envie d’effacer sa mémoire ? En plus, policièrement parlant, un fichier nettoyé ne vaudrait pas le coup. Chez nous, on aime l’informel, ces petites choses qu’on est les seuls à savoir. Le STIC est même devenu notre chouchou. Vous nous le supprimez, on est morts »… (Le Nouvel observateur, 26 février 2009).

    Le geste de protestation du commandant de police Philippe Pichon fut de s’inscrire en totale opposition éthique à cette croyance et pratique sociologiquement dominante, reçue par le siens comme une fatalité ou un mal nécessaire dans le meilleur des cas. Or, son geste de résistance fut salué par le tribunal de l’histoire en train de lui donner raison (au vu de la jurisprudence européenne notamment). Reste que s’il n’a jamais été un martyr, il risque aujourd’hui une mise à mort professionnelle définitive pour avoir voulu en finir avec cette détestable hypocrisie. Beaucoup de ses collègues approuvent heureusement son combat, mais la pression politique sur l’appareil policier est devenue telle aujourd’hui, y compris parmi les syndicalistes, que personne n’entend plus prendre le risque de se solidariser ouvertement avec lui. Ce qui veut dire qu’on préfère se taire au point d’accepter qu’il soit sacrifié, parce qu’il n’avait pas à transgresser un détestable tabou.

    Citoyens atterrés

    Mais nous autres, citoyens atterrés et indignés par le harcèlement dont Philippe Pichon fait l’objet de la part des plus hautes hiérarchies de la police afin de le voir quitter la machine « de son plein gré », allons-nous le laisser tomber à notre tour et accepter pareille injustice ? N’avons-nous pas au moins le devoir minimal de demander à la justice administrative de surseoir à statuer sur ses différentes requêtes en excès de pouvoir, en attendant au moins le prononcé du verdict de la justice pénale ? Car de deux choses l’une :

    - ou bien, le commandant Philippe Pichon bénéficiera au pénal d’une relaxe à raison du droit, et de façon cohérente, il devra être alors blanchi sur le plan disciplinaire et réintégré dans les cadres d’une police qu’il servira beaucoup mieux à l’intérieur qu’à l’extérieur ;

    - ou bien, la justice pénale le condamnera, estimant qu’il a réellement eu tort d’avoir franchi une ligne jaune. Le ministère de l’Intérieur sera alors fondé à en tirer toutes les conséquences disciplinaires.

    Mais en toute logique, il ne serait pas convenable ni juridiquement fondé qu’il en décide maintenant. S’il le faisait, il se rendrait coupable d’une vulgaire opération de « basse politique » qui ne ferait qu’entacher un peu plus le machiavélisme de ceux qui auront pris le risque de sacrifier un fonctionnaire méritant au nom d’une singulière conception de la « haute police ». Or, on sait ce qu’il en coûte à mettre à mort sciemment le lanceur d’alerte d’une juste cause… Si nous n’y prenons pas garde, l’Etat de droit serait déjà engagé sur la pente irréversible de l’Etat policier. »

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