Le 13 juin, Jean-Marie Delarue achèvera son mandat de contrôleur général des lieux de privation de liberté. Pendant six ans, avec ses équipes (juristes, anciens directeurs de prison, etc.), celui qui fut le premier contrôleur - le poste a été créé par Nicolas Sarkozy - a visité toutes les prisons françaises, tous les centres éducatifs fermés (CEF) qui accueillent les mineurs délinquants, tous les centres de rétention qui enferment les étrangers en situation irrégulière, des dizaines de locaux de garde à vue dans les gendarmeries et les commissariats, et d’hôpitaux psychiatriques.

Conseiller d’Etat né en 1945, très respecté, ancien conseiller de Jacques Delors à Bercy ou de Michel Delebarre au Travail puis aux Transports, il a agacé la droite comme la gauche au pouvoir par ses appels en faveur d’une amnistie des petites peines pour limiter la surpopulation carcérale ou contre l’accumulation de lois répressives. Il a aussi alerté sur la situation des prisons Camp Est, à Nouméa, ou des Baumettes, à Marseille. Jean-Marie Delarue sera désormais membre du Comité consultatif national d’éthique. Pour clore son passage au contrôle général des lieux de privation de liberté, il a accepté de se livrer à une interview particulière et de rapporter des images et des souvenirs de ces six dernières années. Quelques objets, des phrases qui résonnent encore, beaucoup de visages qui permettent de «saisir, à travers ces flashs, des choses plus durables sur l’enfermement».

LA PREMIÈRE VISITE

«On m’avait dit "c’est une maison d’arrêt formidable : le matin, les surveillants arrivent en sifflotant." Un cas en effet peu commun : habituellement, ils arrivent plutôt à leur poste la boule au ventre. Je m’attendais donc, en arrivant à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône), à découvrir un paradis pénitentiaire. Nous sommes tombés sur quelque chose de très rude. Et si les surveillants arrivaient en sifflotant le matin, c’est qu’ils avaient opté pour une manière de gérer la détention très rigide, «à l’ancienne» : s’appuyer sur quelques détenus pour assurer la paix, faire régner une discipline de fer.

Lors de ma visite, un des contrôleurs qui m’accompagnait m’a dit : «Il faut que vous voyiez quelqu’un.» Arrive devant moi un prisonnier si maigre qu’il m’évoque un homme sorti d’un camp de concentration, des cheveux teints en jaune, des brûlures de cigarettes aux poignets. Il était la victime de ses codétenus, car il était homosexuel, mais il n’avait pas été placé à l’isolement. Une discipline de fer n’empêche pas de graves tensions au sein de la détention. Cette politique à courte vue de certains surveillants amène la résignation, la diminution de soi, comme dans le cas de cet homme. Ou, au contraire, l’explosion de violences de ceux qui résistent. Il y a certes la satisfaction que rien ne bouge, mais là-dessous ça bouillonne ou ça détruit.»