On peut déblatérer encore longtemps sur la monnaie, essayer de comprendre le système de réserves fractionnaires, en démonter les fondements, expliquer très techniquement pourquoi ce système est une immense pyramide de Ponzi. Tout cela est passionnant, certes. Mais la simple observation des faits permet aussi d’arriver à l’éclatante conclusion que la monnaie telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est pas une monnaie juste, car elle favorise irrémédiablement les riches.
Pour cela, il suffit d’analyser le système sous l’angle d’une question simple Combien « coûte » l’argent ?
Pour les pauvres, l’argent coute cher
Si vous êtes pauvres et occasionnellement à découvert, vous payez des frais bancaires et des agios punitifs. Vous voulez acheter une maison ? Votre banque vous proposera un prêt hypothécaire onéreux, « grâce » auquel vous achèterez votre maison le double du prix, en raison des intérêts payés à chaque échéance. Pour vous, l’argent est cher, vous en payez un loyer plus qu’il ne vous rapporte.
Pour les riches, l’argent est gratuit… et rapporte !
A contrario si vous êtes « riches », non seulement les frais bancaires que vous paierez représenteront proportionnellement une bagatelle, mais il sera facile d’aller l’investir, par exemple dans de la dette des États, qui vous offriront des rendements confortables et pseudo « sans risque » (jusqu’au moment où la pyramide de dette devient trop grosse, mais c’est une autre histoire…). Vous vous engraisserez ainsi lentement mais surement… et sur le dos du contribuable !
De plus, vous obtiendrez des financements beaucoup plus aisément, puisque que vous pouvez montrer à la banque des garanties (propriétés, revenus) séduisantes pour la banque, qui en réduira d’autant votre prime de risque, c’est à dire la partie de l’intérêt lié au risque de défaut que la banque vous attribue (l’autre composante de l’intérêt étant le taux actuariel, c’est à dire le cout qu’implique le fait de ne pas disposer de son argent maintenant).
Comment le système aggrave les inégalités
Rien de nouveau, allez-vous me dire : « On ne prête qu’aux riches, c’est bien connu ».
Et c’est bien ça le drame : on a le problème sous nos yeux, mais faute de comprendre que cet état de fait est dicté dans l’ADN du système monétaire, on s’en accommode. Il faut donc comprendre que le profond vice du système, c’est de multiplier les inégalités monétaires dans la société, simplement parce que le système du crédit bancaire le permet, en dehors de toute considération méritocratique.
Ce système est en effet bien commode pour les riches et les banques (détenues… par les riches pardi !). Comme la banque n’a pas à s’inquiéter de savoir si elle dispose réellement de l’argent qu’elle vous prête (elle le crée par un jeu d’écriture comptable, et le crédite sur votre compte) il n’y a de la sorte quasiment aucune limite d’endettement au niveau de la population des « riches », leur permettant ainsi d’acquérir beaucoup plus de biens et services, mais surtout des titres de propriété dans l’économie (actions, immobilier etc.).
L’exemple extrême pour illustrer le problème, c’est la pratique du Leverage Buy Out (LBO), qui permet à un investisseur de racheter une entreprise valorisée 100 avec seulement 51 d’apport. En effet, le LBO consiste à créer une structure secondaire (une holding) que l’investisseur va massivement endetter auprès d’une banque, qui lui verse de l’argent qu’il n’a pas. Il profite ainsi un effet de levier lui permettant d’acquérir une entreprise qu’il n’avait a priori pas les moyens d’acheter. Bonus : les intérêts payés à la banque sont défiscalisés.
- Wanna make money ? That way !
L’idéal étant bien sûr de procéder à cette technique lorsque les taux directeurs de la banques sont au plus bas (comme aujourd’hui) de manière à obtenir un crédit encore moins cher que d’habitude, et de racheter des entreprises dont le cours de bourse aurait été massacré par une crise financière (comme aujourd’hui), puis de les revendre lorsque le cours aura remonté…
Ou encore mieux, il suffit de créer sa propre banque… enfin, à condition de rentrer dans les critères de la Banque de France, c’est à dire d’avoir quelques millions à investir, et une expérience préalable dans la banque… Ouf, le système est bien foutu quand même ! Non mais vous imaginez si les pauvres pouvaient créer leur banque ???
Dans ces circonstances, faut-il s’étonner de la tendance structurelle des secteurs d’activité à se concentrer irrémédiablement jusqu’à l’oligopole ? De même, est-il surprenant que les grandes familles ainsi que les grandes entreprises créent leurs propre banque ?
En définitive, la monnaie n’est intrinsèquement pas « neutre ». Au contraire, la monnaie par sa simple utilisation sous la forme actuelle, augmente les inégalités de richesses entre les citoyens, car l’argent est rare et onéreux pour les pauvres, mais abondant et peu cher pour les riches.
Abolir la monnaie ?
Face à cette analyse, je me heurte souvent à deux types de réactions extrêmes. Les premiers prétendent que la monnaie ne fait que refléter la réussite. Ils justifient ainsi que les riches puissent jouer des effets de leviers monétaire favorables car ils ont eu le mérite… de devenir riche. Circulez, il n’y a rien à voir.
Cette analyse ne tient pas longtemps ne serait-ce que face au problème de l’héritage. Non, la richesse monétaire ne représente pas fidèlement le mérite de chacun. Les situations de chacun sont bien trop complexes pour pouvoir conclure cela. Certains s’échinent toute leur vie pour gagner des clous, d’autres deviennent rentier par chance et se la coulent douce. On peut certes invoquer que l’on ne peut pas régler tous les aléas de la vie, mais de là à justifier qu’il faille enfoncer les pauvres dans la pauvreté ?
L’autre extrémisme vient plutôt de certains anarchistes, qui comprennent bien tous les problèmes évoqués précédemment, mais n’y voient qu’une seule solution : l’abolition de la monnaie. Cette approche est intéressante (notamment car elle prend en compte l’économie marchande) mais ne passe pas le crash-test du pragmatisme… et de la Liberté.
Vivre sans monnaie dans le fin fond du Larzac, moi je veux bien (enfin, il faut quand même acheter son hectar de terrain… en euros ? lol), mais il va falloir m’expliquer comment un système de troc est réalisable à 60 millions d’habitants… Mais surtout, quand bien même vivre sans monnaie serait possible, on ne peut interdire aux gens d’échanger des bouts de papier entre eux… Donc sauf prise de pouvoir autoritaire et forte oppression, interdire la monnaie est une illusion.
Je n’aime pas dire qu’il n’y a pas d’alternatives, mais pour le coup, la seule solution est dans la réforme du système monétaire. Et l’avantage pour le coup, c’est que tout n’est qu’une « simple » question de choix politique !
Contrairement aux apparences pour le commun des mortels, la monnaie n’est pas forcément « rare ». La monnaie, en tant que protocole d’échange dans une communauté, en tant que moyen d’échange immatériel, peut parfaitement être détruite ou créée si la communauté en décide ainsi démocratiquement. Il est donc de notre ressort d’exiger que les règles monétaires respectent les principes démocratiques : Liberté Égalité Fraternité.
En cela, le dividende universel est évidement la voie la plus juste et pertinente connue à ce jour… et donc celle qui a le moins de chance de voir le jour… Sauf si ?
—
Addendum : Pierre, lecteur fidèle de TdQ me fait remarquer que l’on pourrait ajouter à cet article le fait que en s’endettant davantage que les autres, les riches font grossir leur poids dans la masse monétaire. Ce faisant, ils font subir aux autres participants de la monnaie une externalité négative : l’inflation.
C’est une remarque pertinente. En effet, même si, de mon point de vue, la création monétaire par le crédit n’est pas nécessairement inflationniste (un bon investissement monétisé crée normalement de nouvelles richesses et n’est donc pas inflationniste), dans la réalité, il n’aura échappé à personne que la flambée des prix de l’immobilier, par exemple, est parfaitement corrélée avec le gonflement de la masse monétaire. De sorte que lorsque les crédits octroyés aux riches n’augmentent pas réellement la production, ils provoquent effectivement un inflation insupportable pour les classes moyennes et pauvres.
Illustrations Toban Black theclyde Roo Reynolds